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En première ligne : deux assistantes sociales (AS) témoignent
Mai 2025
Un regard sans filtre sur les réalités de la précarité et les limites du système.
Paroles croisées de Géraldine (Resto du Cœur de Mons) et Margaux (Resto du Cœur de Mouscron)
Dans l’ombre de la distribution alimentaire, les AS des Restos du Cœur jouent un rôle central mais souvent méconnu. Géraldine, et Margaux témoignent de leur quotidien, où l’écoute et l’accompagnement vont bien au-delà de la seule aide alimentaire.
"On accueille des personnes, pas des dossiers"
"Avant de travailler aux Restos du Cœur, je ne me rendais pas compte à quel point il pouvait être difficile pour certaines personnes de pousser notre porte. On touche à un besoin primaire : se nourrir. Il faut que cet accueil soit respectueux, confidentiel, qu’il mette la personne en confiance." — Géraldine

"Je commence toujours par la même question : ‘Comment allez-vous ?’ C’est déjà une manière d’établir un lien : la personne ne se sent pas prise pour un numéro. Il faut considérer la personne en face de soi, pas la voir comme un problème." — Margaux
Un lien qui se construit semaine après semaine
"Les gens, je les vois toutes les semaines. Même s’ils ne viennent pas pour un entretien, on se croise. Cela permet un suivi régulier et de pouvoir intervenir rapidement quand quelque chose coince." — Géraldine
"Notre rôle, c’est aussi de rassurer, d’encadrer. On n’est pas là pour faire à leur place, mais pour leur donner les moyens de comprendre, de structurer, d’avancer." — Margaux
Des gestes simples, mais essentiels
"Chaque semaine, on aide à lire un courrier, remplir un formulaire, envoyer un e-mail. On fait un appel à une mutuelle, on contacte un assistant social du CPAS, on réoriente vers une aide spécialisée."
"Et parfois, c’est une urgence. Il faut agir tout de suite, interpeller un service, protéger un enfant, trouver un hébergement d’urgence."
Un public aux profils multiples
"Nous accueillons un concentré sociétal : des personnes de 17 à 85 ans, avec ou sans revenus, avec ou sans diplôme, belges ou non." — Margaux
"Beaucoup de bénéficiaires ont eu une vie stable avant. Une séparation, un accident, une faillite… et tout bascule." — Géraldine
Des réalités marquées par la complexité
"Les principales difficultés rencontrées ? Le mal-logement, l’absence de logement, les troubles de santé mentale, souvent liés à des accidents de vie comme un divorce, un deuil ou une perte d’emploi." — Margaux
"Parfois les personnes ont un revenu correct, mais sont surendettées. Alors même avec un salaire, elles ne s’en sortent pas." — Géraldine
Une aide qui va au-delà de l’alimentaire
"À Mons, nous fonctionnons sous forme d’épicerie. Les personnes choisissent leurs produits. Ce n’est pas un colis imposé. Cela permet de préserver leur dignité." — Géraldine
Des perspectives freinées par le manque de moyens
"On rêverait d’avoir un local pour proposer des ateliers mamans-enfants, des permanences juridiques, des actions collectives. Mais on manque de place." — Géraldine
Un appel à la reconnaissance, à la solidarité… et aux décideurs politiques
Les deux professionnelles pointent également un manque de moyens structurels pour accompagner dignement les personnes en situation de précarité. Pour Margaux, il est urgent de "renforcer l’accès à l’aide psychologique et psychiatrique, d’améliorer l’accès au logement avec un accompagnement social, de former les intervenants et les bénévoles au non-jugement et à la bienveillance".
Elles appellent aussi à une meilleure prise en compte de la réalité sociale par les pouvoirs publics. Géraldine s’indigne : "Est-ce normal que des associations comme les nôtres, reposant sur le travail de dizaines de bénévoles, soient toujours les dernières roues du carrosse ? Que nous devions combler les défaillances du système ?"
Margaux, elle, interpelle directement : "Avez-vous déjà essayé de vivre avec 50€/semaine ? De dormir dehors en hiver ? De chercher du travail tout en dormant à la rue ? Ce sont des réalités quotidiennes."
Leur message est clair : il faut du changement. Et il doit venir d’en haut.
"Tout peut chavirer en une minute. Il est important de ne pas juger. Chacun a droit à la dignité."— Margaux
Face à un système qui abandonne là où il devrait protéger, les assistantes sociales des Restos du Cœur tiennent bon. Elles refusent l’indifférence, portent la voix des oubliés, et prouvent chaque jour qu’un autre modèle est non seulement possible, mais urgent.